Cris étouffés, feu qui craque et crachote, objet lourd qui tombe.
Ces bruits finissent par réveiller la petite fille. Son cœur bat bien trop vite, bondissant comme s'il voulait s'échapper de sa poitrine.
A présent, le silence est revenu, irréel, fantomatique.
Effrayée, mais néanmoins piquée par la curiosité, elle quitte la douce chaleur de son lit et se faufile à pas de loup dans le couloir obscur. Le sol est froid sous ses pieds nus. Elle frissonne, saisie d'une sourde angoisse. Et si c'était le Père Fouettard ?
Papa lui a bien dit qu'il n'existait pas, mais sait-on jamais ?... Tout en marchant silencieusement, elle fait l'inventaire de ses bêtises les plus récentes. Pas de quoi réveiller un bourreau d'enfants...
Enfin, elle arrive au seuil du salon : le trajet lui a semblé si long ! Doucement, lentement, elle pousse la porte laissée entrouverte.
Rouge, le rouge s'impose, le rouge explose.
La tommette écrevisse. Le feu léchant le foyer de ses flammes chaleureuses. Les paquets entassés au pied du sapin, papier étincelant à dominante coquelicot. Dans un coin, le dos massif de l'homme emmitouflé dans son manteau écarlate.
Et puis aussi le liquide épais qui dégouline sur le sol, qui atteint presque Monsieur Pouic, l'ours blanc. Tiens, il est donc là, ce coquin ! Elle l'avait réclamé avant de s'endormir, mais maman avait été incapable de mettre la main dessus, et la petite fille avait dû faire contre mauvaise fortune bon cœur... S'il reste là, Monsieur Pouic risque bien de rougir sa belle peluche blanche !
Le cerveau de la petite fille tourne au ralenti, ne comprend pas le tableau qui s'étale là, dans ce salon si accueillant d'ordinaire. Il ne fait pas le rapprochement entre ce liquide collant, écœurant, et la jambe féminine qui dépasse derrière le canapé.
Puis enfin, l'enfant comprend : elle connaît cette chaussure, c'est celle de maman. Elle voit papa avachi contre la commode, une fleur vermeille fleurissant sur son torse, une expression étonnée collée sur son beau visage.
Petit cri étouffé d'horreur à grand-peine contenue.
L'homme en rouge se retourne d'un coup et l'observe un instant. Son regard gris, acéré scrute l'espionne. Il s’approche, lui lance un clin d'œil complice et glisse un long doigt sur ses lèvres.
"Chut !"
La petite pleure en silence, elle tremble, et obéit : elle se tait... Ne dit rien... Ne se souvient de rien... L'homme n'est plus là, elle fait un pas, deux pas dans le salon silencieux. Elle tend la main vers Monsieur Pouic, il faut le sortir de là, il en a trop vu... Elle ne voit pas, non, elle ne voit pas ces deux corps chéris, tout son monde, deux coquilles vides...
***
Réveil en sursaut.
Une fois de plus.
Ca fait une semaine que je fais le même cauchemar, comme chaque année à la même période, rengaine épuisante qui abrège mes nuits déjà courtes. Mon cœur bat la chamade, ma peau est recouverte d'une désagréable pellicule de sueur froide. Je frissonne, malgré le cocon douillet des draps. Inutile de tenter un retour dans les bras de Morphée.
Direction la douche. Ca finira de me réveiller.
De retour dans ma chambre, je remarque le désordre qui y règne. Des vêtements s'étalent ça et là, abandonnés par leurs propriétaires, dont je fais partie. Et dans mon lit, à moitié nu, un homme. Qui est-ce, cette fois ? Ah oui, Alex le barman. Sympa, pas collant et compréhensif. Parfait pour une aventure en pointillé. Pas d'attache, pas de jalousie, juste l'instant présent et du plaisir sans contraintes. Que demander de plus ?
Il est réveillé, le bel Alex, éphèbe à la peau cuivrée et au sourire charmeur. Mais aujourd'hui, il ne sera pas assez séduisant pour me détourner l'esprit, pour endormir cette sourde douleur qui va envelopper mon cœur toute la journée. C'est ainsi depuis trente ans.
Trente années passées à redouter le 24 Décembre, alors que tous ont un sourire béat collé aux lèvres. Tous parlent de festins, de réveillons, de cadeaux et de famille. Je les fuis comme la peste, ces amoureux de Noël, ces idiots qui croient aux contes de fées. Mon conte de fées à moi, c'est un film d'horreur, et il a eu lieu la nuit du 24 au 25 Décembre. Ce que le Père Noël a mis dans mes souliers, c'est un double homicide. Et une étiquette que j'ai dû porter comme un fardeau depuis l'âge de six ans : "orpheline... La pauvre !".
Depuis cette nuit funeste, je hais tout ce qui touche Noël : les décorations, les cadeaux, les réveillons, la belle générosité si hypocrite qu'implique cette fête.
Je ne me souviens pas grand-chose de cette nuit d'il y a trente ans. J'étais petite. Mais ce que je sais, c'est qu'elle a transformée ma vie, c'est qu'elle m'a transformée, moi. Au fond de moi, quelque chose est cassé. Je suis incapable de compassion, incapable de me laisser aller à des sentiments aussi forts que l'amour. Pas d'attaches, j'en suis libre. La solitude habille ma vie, et ça me va très bien !
Je ne suis pas un bloc de glace pour autant ! Mes amants d'un soir sont toujours heureux de mon tempérament de feu. J'éprouve une profonde gratitude pour mon tuteur, celui qui m'a sortie de la maison de mes parents assassinés, mon sauveur qui a su apaiser ma colère. Non la canaliser en m'inscrivant à l'école de police. Et une étrange tendresse me lie à mon jeune coéquipier, un peu comme s'il était mon petit frère et qu'il avait besoin de ma protection.
Mais cessons ce sentimentalisme mal placé ! Il faut que je me débarrasse de mon amant devenu indésirable, je ne suis pas d'humeur à prendre des pincettes. Tant pis pour lui !
***
Au poste, la même effervescence qu'à l'ordinaire. Les malfrats s'en fichent que ce soit la veille de Noël. Partout, des guirlandes rappellent insolemment la fête.
Partout, sauf sur mon bureau. J'ai réussi à conserver mon espace intact, à force de cris, vociférations et intimidations. Les collègues m'appellent entre eux la Mère Fouettard ! Grand bien leur fasse, je m'en fiche ! Je suis comme ça, un point c'est tout !
Une pile de dossiers m'attend bien sagement. C'est très bien, j'en ai pour des heures d'occupations. Ce soir, je rentrerai tard, les bureaux seront vides et tranquilles. Je n'irai pas au bar non plus, il sera rempli de célibataires en mal d'amour ou de divorcés névrosés. Très peu pour moi. Ce soir, je veux être seule. Seule avec mes souvenirs, ma peur et ma rage.
- Salut, Lisa. Ca boome ?
Julien est d'excellente humeur à en croire la large fente de son sourire et l'éclat rieur de ses yeux bleus. Mon coéquipier est du genre "heureux de vivre". Optimiste et souvent naïf, il a le don pour m'exaspérer. Et en même temps, il pare ma vie d'un voile de gaieté non négligeable.
Aujourd'hui, je ne suis pas sûre d'apprécier sa compagnie envahissante. Je grogne une réponse inaudible, dans l'espoir que ma sombre humeur refroidira ses ardeurs fantasques. Mais non !
- Alors, qu'est-ce que tu fais ce soir, ma belle ? La fiesta à n'en plus finir ? Ou bien un repas pépère avec ce bon vieux Grignet ?
Grignet, Pierre de son prénom, est mon tuteur. Je lance un regard vers son bureau, il est au téléphone.
Il a toujours été là pour moi dans les coups durs. C'était un collègue et ami de mon père. Et c'est aujourd'hui mon patron. Le commissaire Pierre Grignet est un homme apprécié de son équipe, intraitable quand la situation l'exige, mais souple et compréhensif. Paternel et autoritaire, le parfait mélange. Il a été le premier sur les lieux du double homicide qui m'a rendue orpheline. C'est lui qui m'a arrachée au spectacle macabre du sang qui imprégnait le tapis du salon. C'est lui qui m'a vue grandir, souvent dans la souffrance et la solitude. C'est lui qui m'a offert une carrière adaptée à mon tempérament vengeur. A ma façon, je l'aime... Presque. En tout cas, il est dans ma vie ce qui se rapproche le plus d'un père. Un point fixe dans mon existence bouleversée. Bouée salvatrice quand le naufrage menace.
Mais un repas de Noël avec lui, jamais ! Il est trop impliqué, trop proche de mon drame personnel. Ca serait... Malsain.
- Ca te regarde pas, gamin !
Je sais, je ne suis pas très gentille avec lui. Mais jamais il n'irait se vexer pour si peu. C'est un truc entre nous. Cinq ans seulement nous séparent, mais nous nous taquinons sans cesse sur cette différence d'âge ridicule. Lui m'appelle "l'ancienne" ; moi, je le traite "d'ado boutonneux". Ca nous fait bien rire ; c'est puéril, mais ça nous fait du bien.
- Allez, soit sympa, Mamie. Raconte ! C'est quoi tes projets ? Ne me dis pas que tu comptes encore rester tard à pourrir sur des vieux dossiers en retard ! Ca serait vraiment triste...
- C'est exactement ça ! Et maintenant, bouge tes petites fesses !
Nonchalamment installé sur mon bureau, sachant pertinemment que je ne le supporte pas, il me regarde avec un air parfaitement angélique.
- Sérieusement, tu vas vraiment restée enfermée ici à ruminer ? Tu pourrais venir à la maison. C'est ma sœur qui fait à manger. Il y aura mes neveux et ma mère. Ça sera super ! Et ne dis pas que tu ne veux pas déranger. Si je t'invite, c'est que ça me fait plaisir !
- Merci, c'est gentil. Mais j'ai vraiment du travail en retard, des rapports à taper et tout ça ! L'année prochaine peut-être...
Et voilà, troisième invitation à un réveillon déclinée. Depuis qu'on se connaît, c'est pareil à chaque fois. Il m'invite, je dis non, il n'approfondit pas. C'est notre petit rituel de Noël. Sauf qu'aujourd'hui, il ne joue pas le jeu.
- Allez, soit cool, Lisa. Ca ne peut pas te faire de mal de voir du monde et de rire un peu. Viens ce soir, je t'en prie.
- J'ai dit non, et ne me force pas à hausser le ton, Julien !
- Hé, c'est quoi ton problème avec Noël. Les fois d'avant, j'ai trop rien dit, on se connaissait pas comme maintenant. Mais là, ça devient ridicule. Rester seule au commissariat à attendre je ne sais quoi, broyer du noir quand tout le monde est heureux ! T'as vraiment un problème, ma vieille...
- Mon problème, il est dans mon dossier, crétin ! T'as qu'à te le procurer si ça t'intrigue tant que ça ! Maintenant, laisse-moi broyer du noir toute seule !
Incroyable ! Il doit bien être le seul du bureau à ne pas être au courant de mon passé. Pas curieux pour deux sous, ce garçon !
- Très bien, je te laisse alors. Amuse-toi bien. Je pars tôt ce soir, on ne se reverra pas d'ici là, je suppose !
Et voilà, c'est lui qui met les pieds dans le plat et il a le culot de se vexer ! Quel gamin ! Enfin, maintenant, j'ai la paix.
La journée égraine ses heures avec une lenteur insupportable, dans un ennui ankylosant. Peu à peu, les collègues quittent le bureau, en lançant des "Joyeux Noël" à tout bout de champ. Le commissaire quitte les lieux dans les derniers : il ne cherche même pas à me souhaiter bonne nuit. Il sait trop bien comment je fonctionne. Il me jette un regard compatissant avant de disparaître dans l'ascenseur. Ne reste plus que l'équipe de garde, et moi, qui ne devrais pas être là. Impossible de me concentrer sur ce satané rapport. Seul du rouge s'étale sur mon écran, mes yeux piquent, ma gorge est serrée.
C'est un Noël comme les autres, mais pas celui des autres. J'attends, je ne sais pas quoi. Peut-être une évolution, qu'une bonne âme vienne me dire que "ça y est, on l'a coincé, ce salaud qui a trucidé tes parents !". Tous les ans, c'est pareil : trente ans qu'il coure, l'assassin, nullement inquiété, impuni et insolent. Il n'a plus donné signe de vie, depuis.
Peut-être est-il mort et enterré, ou bien enfermé en prison pour un autre crime... Mais au fond de moi, je suis persuadée qu'il est là, quelque part dehors, qu'il m'observe et qu'il attend son heure. Il n'en a pas fini avec moi. Je crois... Ce qui est sûr, c'est que moi, je n'en ai pas fini avec lui ! Quand je l'aurai démasqué, je... Je ne sais même pas ce que je ferais. J'hésite entre lui tirer purement et simplement une balle entre les deux yeux avec le révolver qui a tué mon père, ou bien l'étriper avec le couteau qu'il a utilisé pour poignarder ma mère et le regarder se vider de son sang et de ses entrailles. Une chose est certaine : il est hors de question de le livrer à la justice !
La nuit est à présent bien installée. J'ai comme d'habitude ouvert le dossier vieux de trente ans, épluchant chaque élément, me brûlant les yeux et l'âme sur les photos de la scène de crime. Ma mère, étendue dans son propre sang, poignardée avec sauvagerie à quatre reprises. Mon père, appuyé sur la commode, les yeux éteints, une balle logée en plein cœur. Quel détail a bien pu m'échapper ? Quel indice non exploité a été oublié par les enquêteurs de l'époque ?
Presque minuit... Ca fera bientôt trente ans... Les yeux secs - mes larmes ont cessé de couler il y a bien longtemps - je revis la scène. Une petite fille en train de patauger dans une mare écarlate pour reprendre son doudou... La solitude, la peur et la colère sont désormais ses seules amies... C'est moi...
Il est grand temps de rentrer. Je ne veux plus qu'une chose : avaler mes comprimés et m'endormir d'un sommeil de plomb... Ne plus penser, anesthésier cette sourde douleur qui me ronge un peu plus chaque année, morcelant mon âme, détruisant mon humanité...
La rue est plongée dans le silence et le noir. Je me dirige vers ma moto. Il fait doux pour la saison, on se croirait presque au printemps. Pas un temps d'hiver. Il y a trente ans, la neige recouvrait tout...
Sonnerie de portable, je sursaute. C'est Pierre. Il semble affolé, ce qui est mauvais signe. Un étrange pressentiment m'étreint. Il me donne rendez-vous dans un quartier résidentiel. Ce n'est pas très loin de chez moi...
Sur les lieux, une demi-douzaine de voiture de police. Et un Julien fort mécontent de se retrouver là ! Lui qui comptait se retrouver en famille dans la chaleur douillette de son foyer... Pas de chance !
La maison est toute illuminée de guirlandes électriques, un renne lumineux scintille dans le jardin propret. Une couronne de sapin orne la porte grande ouverte. Des policiers en uniformes vont et viennent, le vacarme est assourdissant, les gyrophares bleu et rouge sont aveuglants. Je m'avance lentement, j'entre, l'angoisse est insoutenable. Un salon, décoré avec classe. Un feu crépite dans la cheminée, parfumant agréablement l'air. Et le rouge domine...
Un flash éclate dans ma tête... Sentiment de déjà-vu... Conviction d'être revenue trente ans en arrière...
Deux corps. Un homme. Une femme.
Elle est étendue sur le tapis, le ventre déchiré, les yeux vitreux, la peur peinte sur son visage figé, comme un masque mortuaire.
Il est avachi plus loin, au pied du sapin, un trou dans la poitrine, comme surpris en pleine vie, et vidé de son essence.
Le commissaire regarde la scène, l'air abasourdi. Puis il remarque ma présence. Il appelle Julien qui grogne dehors. Moi, je suis figée, prisonnière du passé qui se répète.
La voix de Pierre s'élève, réconfortante, sécurisante, comme avant. Je me secoue, je ne dois pas continuer à regarder... Ça ! Je dois me bouger, sortir de cette léthargie qui risque de me tuer. Je lève les yeux sur ce tuteur, ce père de substitution. Pourquoi m'a-t-il fait venir ? Pourquoi m'a-t-il collé ce spectacle sous les yeux ? Il est en train de l'expliquer. Je dois me concentrer sur sa voix.
- Je ne veux pas que vous travailliez sur cette affaire. Ce n'est pas pour ça que je vous ai fait venir. Lisa, tu as dû remarquer quelques similitudes avec cette affaire qui... Qui te concerne, n'est-ce pas ?
J'acquiesce, incapable de parler. Julien me regarde avec des yeux tout ronds : ça t'apprendra à te tenir au courant, petit père !
- Quelle affaire ?...
- Ce n'est pas le moment, Murol ! Je t'expliquerai plus tard ! Ta mission, c'est d'épauler Lisa, d'être là pour elle... Je disais donc... Il n'y a pas que le double homicide qui soit troublant. Comme la première fois, il y a... Comme qui dirait un témoin, une rescapée. Je l'ai installée dans la cuisine, à côté. Elle est en état de choc. On l'a retrouvée dans l'escalier, elle avait les yeux vrillés sur sa mère, pauvre gamine. Elle a 6 ans, comme toi quand... Elle n'a pas prononcé un mot depuis qu'on est là ! Lisa, elle doit parler, nous dire ce qu'elle a vu. Et je pense que tu es la mieux placée pour l'aborder...
D'un coup, la colère m'enflamme. Je regarde Pierre droit dans les yeux, le fusillant sur place.
- Tu me demandes un coup de main, juste pour faire parler une morveuse ! Et après, tu vas me mettre au placard, comme ça, comme une vieille chaussette ! Tu ne peux pas me faire ça ! J'ai le droit, plus que quiconque, d'être sur cette enquête ! Ca fait tellement longtemps que j'attends ! Tu ne peux pas me mettre à l'écart !
- Ca suffit, Lisa ! Dois-je te rappeler que je suis ton supérieur ? Tu me dois obéissance !
La voix de mon tuteur se fait dure, inhabituelle. Il se radoucit pour continuer :
- Je sais ce qui est bien pour toi. Je ne te mets pas à l'écart. Simplement, pour ce qui est de l'enquête, je préfère mettre quelqu'un de plus aguerri, qui saura mettre toute son expérience pour boucler l'affaire et coincer celui qui a commis tous ces meurtres odieux ! Toi, tu seras plus utile au contact de la petite survivante. Et bien sûr, tu seras mise au courant du déroulement de l'enquête, ne te fais pas de souci pour ça. C'est légitime.
- Bien, Commissaire. Comme tu voudras.
Encore en colère, mais bien forcée d'admettre la justesse des propos de Pierre, je me tourne vers Julien. Il n'a strictement rien compris à ce qui vient de se passer. Il me fait un peu de peine avec son air interrogateur et ses yeux ahuris. Il faudra qu'on ait une petite conversation, plus tard. J'aurais dû lui en parler bien avant. Nous sommes amis : il se livre sans cesse, me fait des confidences ; et moi, je ne lui dis même pas ce qui a fait de moi un être distant et désabusé... C'est injuste.
Sans rien ajouter de plus, j'entre dans la cuisine que Pierre m'indique. Une petite fille est là, assise sur un tabouret. Elle regarde dans le vide. Son apparence me frappe : je crois me revoir, au même âge.
Je m'approche doucement, pour ne pas l'effrayer. Comment aborder une enfant cassée, qui ne pourra jamais guérir ? Quoi lui dire ? Je ne me souviens même pas des paroles de Pierre quand il m'a trouvée... Je m'assieds sur le siège vacant. Elle ne me regarde même pas. Ne réagit pas. Julien, gauche, reste près de la porte. D'habitude, c'est lui qui interroge les témoins, il a la parole facile, il sait toujours trouver les mots. Mais là, il se met en retrait, me laissant patauger. Il observe, je vois bien à son air contrit, qu'il est de tout cœur avec la fillette. C'est son côté humain, l'empathie le gagne souvent aux moments les plus critiques. D'habitude, je me moque de lui. Mais là, je me sens si proche de cette enfant. Sa détresse muette me touche comme un poignard en plein cœur.
- Bonjour. Je m'appelle Lisa, Lisa Rastini. Je suis inspecteur. Du côté des gentils...De ton côté. Tu n'as plus rien à craindre avec moi,... Heu, c'est quoi ton prénom au fait ?
La fillette lève son regard grave sur mon visage. Elle reste muette un long moment, se demandant sûrement si elle peut m'accorder sa confiance ou non. J'attends. Surtout ne pas la brusquer, ne pas l'agresser.
- Sophie, je m'appelle Sophie.
Sa réponse est à peine audible, un simple murmure, mais une brèche dans sa carapace défensive.
- Enchantée, Sophie. Tu sais, je suis bien embêtée. Je ne sais pas quoi faire. J'ai besoin de ton aide pour arrêter le méchant qui a fait du mal à ta famille. Tu veux qu'on l'arrête, n'est-ce pas ? Pour qu'il soit puni ?
La petite acquiesce timidement.
- J'aimerais savoir ce que tu as vu, ou entendu. Tout ce qui pourra te venir en mémoire, même des petites choses qui ne te paraissent pas importantes. Ca m'aidera énormément.
Elle réfléchit quelques minutes. J'en viens à me demander si la coquille ne s'est pas refermer. Quand je n'y crois plus, sa petite voix se fait entendre, hésitante, chevrotant d'effroi :
- Il m'a demandé de ne rien dire. J'ai peur qu'il revienne.
Les pleurs cèdent, digue trop longtemps sollicitée. Elle continue cependant vaillamment à parler.
- Je croyais, je croyais qu'il était gentil. C'est ce que maman me dit, qu'il est gentil. Mais c'est pas vrai ! Il a été méchant, ce soir... Il ne m'a pas apporté la poupée que je voulais. Non... Il a fait du mal à papa et maman... Et puis il a dit de me taire... J'ai peur.
Une image explose dans ma tête. Il me regarde, ses yeux durs posés sur moi, sa barbe blanche cache tout son visage, mais il me semble si familier.
Oui, c'est le même homme qui a tué à trente ans d'intervalle. Le Père Noël ! Enfin, un homme déguisé en Père Noël. Moi aussi, comme la petite Sophie, j'ai cru que mon univers s'écroulait, j'ai réellement cru que le Père Noël avait attaqué mes parents. En grandissant, j'ai compris mon erreur, bien sûr. Mais il a fallu des années pour que je puisse croiser un barbu en rouge dans la rue sans hurler de terreur.
Sophie aussi, passera par là. Je n'y peux rien. J'aimerai prendre sa douleur et la revêtir par-dessus la mienne - un peu plus, un peu moins... Mais je ne peux rien y faire. Et une seconde couche de haine se superpose sur l'ancienne. Quel monstre est ainsi capable de détruire une enfant de cette façon ? Pourquoi la laisser en vie pour la laisser souffrir le martyre ? Quel but poursuit-il ?
Sophie sanglote à côté de moi, presque en silence. J'en ai le cœur brisé. Pour la première fois depuis bien longtemps. Je croyais qu'il était déjà morcelé, mais il était encore assez humain pour se casser un peu plus... Cette fois, il faut que je l'arrête, ce monstre !
La porte s'ouvre alors, découvrant Pierre.
- Alors, tu en es où, Lisa ?
C'est alors que Sophie lève la tête. En voyant le nouvel arrivant, elle se met à hurler à pleins poumons. Je la prends dans mes bras, instinctivement, comme sa mère aurait pu la prendre. Je la berce en lui murmurant des banalités, des choses qui pourraient la calmer. A force de douceur, je parviens enfin à endiguer le flot de terreur.
Je ne sais combien de temps cette étreinte à durer. Quand je me redresse, je croise le regard de Julien. Il m'observe avec un air entendu, semblant dire : "je savais bien que tu n'étais pas un robot dépourvu de sentiments".
***
Une fois la petite installée dans la salle de repos du commissariat, dans l'attente des services sociaux, je me retrouve dans le bureau de Pierre, avec Julien, en train de faire mon compte-rendu d'interrogatoire. La soudaine terreur de Sophie m'a troublée plus que je ne veux bien l'admettre. Pourquoi s'est-elle sentie menacée d'un coup, alors qu'elle commençait à se calmer ?
Pierre semble particulièrement s'inquiéter du sort de la rescapée :
- Lisa, je veux que tu accompagnes la petite quand l'assistante sociale viendra. Elle aura besoin d'un soutien, et tu es la seule à avoir établi le contact.
- Mais je veux participer à l'enquête, Pierre... C'est LUI, ça ne fait aucun doute...
- Non, tu seras plus utile auprès de la petite ! Je ne reviendrai pas dessus. C'est autant pour le bien de l'enfant que pour le tien !
Je m'apprête à protester une nouvelle fois mais le commissaire m'interrompt sans ménagement :
- Sujet clos ! Murol, tu vas passer au peigne fin une vieille affaire qui a un rapport avec celle d'aujourd'hui.
Quelle drôle d'idée ! Mon tuteur sait pourtant bien que j'ai passé des années à revoir cette enquête, à la retourner dans tous les sens sans jamais rien trouver de nouveau. A quoi joue-t-il ? En quoi Julien va-t-il faire avancer les choses ?
- Mais Pierre, à quoi ça peut servir ? Julien serait plus utile avec l'équipe chargée d'enquête. C'est un excellent inspecteur...
L'intéressé se met à rougir. En revanche, Pierre voit rouge :
- Ca suffit, maintenant, Lisa ! Tu dépasses les bornes. Quand je dis quelque chose, on obéit, sans discuter. Je me suis bien fait comprendre ?
Comme à chaque fois qu'il pique une colère, je fais profil bas. C'est lui, ma figure paternelle ; c'est lui qui sait ce qui est le mieux pour moi. Mais alors, ce qu'il peut m'énerver quand il joue ainsi de son autorité toute-puissante sur moi !
- Bon, voilà qui est mieux ! Murol, je vais t'expliquer de quoi il retourne, je suppose que tu n'es pas au courant... Lisa, tu peux sortir. Oh, et n'oublie pas que demain, ah non, ce soir, je passe te chercher à 19 h tapantes.
- 19 heures ?
- Tu n'as pas oublié le gala de charité, n'est-ce pas ? Je veux que tu m'accompagnes. Ca te fera le plus grand bien. Et avant que tu ne protestes, je ne te laisse pas le choix. Sois prête, élégante et courtoise. C'est tout ce que je te demande !
Je sors en faisant claquer la porte, furieuse. Un gala de charité ! En plein milieu d'une enquête capitale pour moi, pour ma reconstruction ! Il n'y a que Pierre pour continuer à vivre sereinement alors que le monde s'écroule tout autour de lui.
Je suis encore en train de ruminer l'attitude de mon tuteur lorsque Julien sort de son bureau. Il vient directement vers moi. Il semble assommé.
- Pourquoi tu ne m'as jamais rien dit, Lisa ?
- Ce n'est un secret pour personne. Tu n'avais qu'à lire mon dossier !
- Je n'aime pas fourrer mon nez dans les affaires des autres sans leur consentement, tu le sais bien ! Tu aurais pu m'en parler. J'aurais cru que deux amis pouvaient partager... Ce fardeau. Je comprends mieux ton aversion pour Noël... Je... Je suis désolé de ne pas avoir compris, d'avoir insisté comme un lourdaud !
- C'est rien, gamin. C'est ma faute, tu as raison. J'aurais dû t'en parler. Mais tu le sais, je n'aime pas parler de moi... Je ne fais pas confiance facilement...
- Ca peut se comprendre... Alors, c'est le même tueur ?
- Ca ne fait aucun doute.
- Mais pourquoi avoir attendu trente ans pour frapper à nouveau ? C'est énorme.
- C'est ce que je me demande. Tiens, voici le dossier. Je l'ai lu une énième fois il y a à peine quelques heures. Je ne vois pas ce que tu pourras trouver de plus. Mais bon, les ordres sont les ordres. Je vais rejoindre Sophie. Bonne chance.
***
18h15, le 25 Décembre.
Je suis fin prête pour ce fameux gala auquel mon tuteur tient à me traîner. Comme si je n'avais que ça en tête ! Comme si je ne préférais pas être en train de trouver des indices sur le Père-Noël Tueur - c'est ainsi que Julien l'a baptisé.
Je n'ai plus qu'à attendre Pierre. Ca ne sera pas long, il est toujours en avance... Je fais les cent pas, jetant des regards indifférents sur le salon de mon appartement aménagé dans une ancienne usine. Les tuyaux donnent un charme désuet à cet espace que j'aime particulièrement. Je m'y sens bien, dans ce cocon industriel et rouillé. Tout mon univers se trouve dans cette pièce, tous mes souvenirs, ce qui me reste de mon enfance : Monsieur Pouic adossé au meuble télé, quelques photos transpirant une joie définitivement morte, la balalaïka de maman. Je me souviens : elle passait des heures à gratter les cordes, jouant avec plaisir des mélodies russes apprises par sa propre mère originaire de Russie. Je n'ai que ces quelques objets de mon ancienne vie. Le reste, la maison, les meubles, tout a été vendu. Je m'en suis débarrassé à ma majorité.
La sonnette interrompt mes pensées.
Pierre, toujours élégant, me sourit. Son regard se pose sur ma robe rouge et or et s'éclaire d'un éclat appréciateur.
- Tu es plus que ravissante quand tu prends la peine de t'habiller comme une dame ! Ca te va à ravir.
- Merci, commissaire. Entre, on va prendre un verre, il est trop tôt pour y aller déjà, non ?
Un sourire boudeur apparaît au coin de ses lèvres.
- Pas de commissaire, ce soir, ma Lisa. Je ne suis qu'un homme, au moins pour cette soirée, et toi une jolie femme, tu veux bien ?
J'acquiesce et me dirige vers la cuisine, le laissant entrer.
Alors que je m'affaire, je sens le poids de son regard sur mon dos. Il est étrange, ce soir. Quand je me retourne, il est confortablement installé sur le canapé, et il ne me lâche pas des yeux. Son expression me laisse perplexe...
- Viens donc t'asseoir, jolie Lisa.
Ca fait des années qu'il ne m'a pas appelée comme ça. Depuis que je suis devenue adulte, en fait. Etrange qu'il utilise ce petit nom ce soir. Peut-être le retour du tueur de mes parents le perturbe-t-il autant que moi...
Je me pose avec précaution sur le divan, ma robe m'empêchant de faire les grands gestes dont j'ai l'habitude.
- Je sais que ça t'a mis en colère que je ne te donne pas l'affaire... Mais, ça me semblait important que tu t'impliques auprès de la petite. Vous êtes si semblables. De pauvres victimes, des survivantes en mal d'amour.
- Je ne me sens pas victime, Pierre. Je ne me suis jamais sentie une victime !
- Oui, je sais, tu as toujours été forte ! Je l'ai vu alors que tes parents te prenaient pour une petite princesse. Moi, je savais que tu avais un caractère exceptionnel.
Etranges paroles...
- Qu'entends-tu par "petite princesse" ? Mes parents m'aimaient oui, ils me couvaient aussi, comme seuls des parents peuvent le faire. Je ne comprends pas ce ton de reproche dans ta voix...
- Ce que je veux dire, c'est qu'ils rêvaient de te voir devenir une danseuse étoile, ou un truc de fille dans ce genre. Ton père ne voulait absolument pas que tu suives ses traces. Quelle idiotie ! Il était un sacré bon flic, et tu étais prédestinée à le devenir toi aussi. Mais sa femme, ta mère, avait réussi à l'aveugler. Elle lui avait mis dans la tête que tu n'étais pas faite pour cette carrière ! Elle ne voulait pas voir à quel point tu ressemblais à ton père, et à moi. Elle ne voulait pas comprendre que tu détestais les jeux de fille, les robes roses et les souliers vernis, les poupées, et tout le tralala ! Toi, tu ne t'épanouissais qu'en montant dans les arbres, en faisant des cabrioles, et en jouant au gendarme et au voleur. J'avais vu ça, ce que tes parents refusaient de voir, que tu étais un garçon manqué. Ils auraient fait de toi une petite fille bien sage, une poupée sans cervelle cherchant le prince charmant. J'y ai remédié, et vois ce que tu es devenue, une flic exceptionnelle, le meilleur taux d'arrestation du district...
Quelques instants, je me revois enfant, dans une jolie robe achetée par ma mère, en train de faire la roue dans le dos de mes parents, délaissant la maison de poupée reçue au Noël précédent. Oui, je n'aimais pas trop les jeux dits "de fille"...
Mais quelque chose me gêne, la virulence dans le ton de Pierre, ses traits passant de la sévérité à la fierté, ses mots durs pour l'éducation de mes premières années. D'un coup, je vois rouge : m'avoir élevée ne lui donne pas le droit de critiquer aussi violemment la façon de faire de mes parents.
- Je n'aime pas beaucoup la façon dont tu parles de papa et maman ! Je croyais que tu étais ami avec eux... Tu travaillais tous les jours avec papa, maman t'invitait chaque dimanche à la maison... Pourquoi les critiquer ainsi ? Pourquoi salir leur mémoire ?
Dans ma colère, je me retrouve debout, à m'éloigner de cet homme qui m'a vue grandir.
- Calme-toi, Lisa.
Il se lève, se voulant apaisant.
- J'avais beaucoup de respect pour ton père. C'était un homme droit, honnête et courageux. Il m'a sauvé la mise plus d'une fois, tu peux me croire. J'étais ce qu'on appelle une tête brûlée, toujours désireux d'arrêter les malfrats à n'importe quel prix, quitte à faire quelques entorses au règlement. Robert, lui, gardait les pieds sur terre et la tête froide. Il me remettait sur le droit chemin. Nous étions inséparables. Et puis, elle est arrivée... Ta mère. Il a eu le coup de foudre immédiat. Il faut dire que c'était une belle femme, Natacha. Elle était barmaid à l'Irish, à l'époque. Je sais que tu fréquentes ce bar dans tes soirées en célibataire, je ne vois pas ce que tu y cherches... Bref, j'ai assisté à leur mariage, j'étais leur témoin. Et puis, tu es arrivée, petit bout tout rose, symbole de leur union... Oh bien sûr, nous sommes restés les meilleurs amis du monde, Robert et moi. Mais ce n'était plus pareil. Il avait sa famille, désormais. Il était heureux auprès de vous deux, les deux femmes de sa vie, comme il vous appelait. Et moi, je restais le bon pote célibataire qu'il fallait caser !
Il fait une pause, essoufflé. La colère est à présent visible sur son visage, mais je reste sans voix, incapable d'intervenir. Il ne m'a jamais rien dit sur son amitié avec mes parents, malgré ma soif de savoir et les questions dont je l'ai assailli toute la vie. Il reprend, son ton se fait dur, tranchant comme un poignard :
- C'était la lubie de ta mère. "Je vais te présenter une copine, tu verras, vous ne pouvez que vous entendre !" Sauf que je voulais pas être casé. Je ne voulais qu'une chose : goûter au bonheur que Robert avait su trouver. Juste croquer dans cette belle pomme, pour en connaître le goût. C'est tout ce que je demandais... Mais elle n'a pas voulu ! Egoïste. Elle m'a ri au nez, et m'a gentiment repoussé. Et même là - surtout là - elle était si belle ! Si scandaleusement désirable !
Le choc me coupe le souffle. Je regarde mon tuteur, il est livide, blanc de rage. Enfin, j'arrive à articuler :
- Tu étais donc amoureux d'elle ? Tu voulais... Tu voulais coucher avec elle malgré... Papa !
- Il n'en aurait jamais rien su ! Je ne voulais pas le blesser, juste savoir ce qu'il ressentait dans les bras de son épouse parfaite. Il m'avait fait le bonheur d'être ton parrain, je pouvais goûter aux joies d'un semblant de paternité, grâce à lui. Mais ça ne suffisait pas ! Je voulais quelques autres miettes, un petit bonheur dans l'ombre du sien. Nous avions toujours tout partagé... Ce n'était que justice !
- Mais... Mais tu es fou à lier ! On ne partage pas une famille... C'est... Ça ne fonctionne pas comme ça !
Je le regarde à présent comme s'il était un étranger. C'est un étranger, qui m'a élevée tout ce temps sans jamais dévoiler son vrai visage.
- Ne me regarde pas comme ça, Lisa ! Ce que j'ai fait, je l'ai fait par... Par besoin d'amour ! C'est tout. Pas par plaisir, crois-moi. C'était vital pour moi, pour mon équilibre. Et pour toi aussi...
Incompréhension.
- Que veux-tu dire ?
Il s'avance vers moi, sa main vient effleurer délicatement ma joue, son visage est à quelques centimètres du mien.
- Ne fais donc pas l'enfant, ma chérie. Tu n'as toujours pas compris ?... Tu ne m'as donc vraiment pas reconnu, ce soir-là ? Ou bien, tu n'as pas voulu me reconnaître... Parce que tu m'aimais alors, et tu m'aimes toujours, encore plus fort. Je... Je ressens la même chose, depuis cette nuit-là. J'attendais le meilleur moment pour que la vérité voit enfin le jour, pour que nous puissions vivre cet amour à la face du monde, sans aucune honte ! Toutes ces aventures que tu as eues, elles ne sont rien ! Je m'en fous. Ces hommes n'étaient là que pour te faire patienter, jusqu'à ce que tu sois assez mûre pour la véritable passion ! Je le sais, ça. Je ne t'en veux pas. Viens, ma belle. Embrasse-moi et oublie tout...
Il se penche, il veut poser ses lèvres venimeuses sur ma bouche, il m'aime de cette façon !... Et il a tué mes parents, il les a massacrés presque devant mes yeux ! Quand la vérité parvient enfin à mon cerveau paralysé, un flash d'adrénaline m'aveugle. Sans en avoir conscience, je le repousse avec tant de violence qu'il bute sur la table basse et se retrouve les quatre fers en l'air avec un air d'incompréhension collé sur son visage de sale serpent menteur ! Avant qu'il ne se relève, j'attrape le flingue que j'avais rangé dans le comptoir de ma cuisine américaine et le pointe sur l'homme à terre.
***
La rage fait trembler ma voix, pas ma main.
- C'est toi ! Tu as tué mes parents, tu me les as arrachés ! Tu as fait de moi une orpheline !
Il se met à rire. Comme un dément.
- Oui, j'ai fait de toi ce que tu es. Une femme forte, qui n'a peur de rien, qui ne se laisse pas faire. Tu as la beauté et la grâce de ta mère, le courage et le talent de ton père ! Le produit parfait de ces deux êtres que j'aimais. Si je les avais laissé faire, tu ne serais pas ce que tu es. C'est grâce à moi que tu es entré dans la police, grâce à moi que tu es du côté des forts, et pas du côté des victimes ! Je t'ai faite !
- Tu as surtout fait de moi un être insensible, qui fuit l'amour, qui ne donne pas sa confiance ! Tu as... Tu as détruit mon humanité, Pierre...
Ma voix se casse, je suis secouée par un sanglot. Non, je n'ai pas pleuré depuis des années. Il ne faut pas que je pleure maintenant. Pas maintenant que je tiens le monstre qui a détruit ma vie. Je veux tuer ce monstre... Je n'ai jamais imaginé que ce serait un proche, mon presque-père... Il faut que je me reprenne, ma main ne doit pas trembler. Il rit toujours.
- Tu ne peux pas tirer sur moi, Lisa. Je t'ai toujours protégée. Rappelle-toi. Tu te souviens de ce jour où tu es tombée, tu t'étais égratigné le genou. Je t'ai soignée et t'ai consolée, comme ta mère aurait pu le faire. Et quand ce garçon que tu avais ramené dans ta chambre a voulu aller plus loin, que tu t'es débattue, je suis arrivé à temps, je l'ai viré vite fait bien fait, comme ton père l'aurait sûrement fait. Je suis ta famille, Lisa, la seule que tu n’auras jamais. Je t'aime. On pourrait oublier le passé, reprendre à zéro, se construire un vrai bonheur rien qu'à nous. Il y a une petite orpheline qui va avoir besoin de soutien et d'amour. On pourrait le lui offrir...
- La ferme !
Les mots jaillissent de ma bouche, incontrôlables. Je ne veux plus entendre ses délires.
- Pourquoi tu as tué les parents de Sophie ? Pourquoi tu as tué à nouveau après tout ce temps ? C'était un Noël comme les autres, en tout cas pour moi. Qu'est-ce qui a dérapé ?
Il me regarde avec étonnement ; la grisaille de ses iris me donne le tournis, toute sa folie y est contenue :
- Tu ne le sais donc pas, ma belle ? Plus rien n'était pareil, ce n'était pas un Noël comme les autres ! Pendant des années, j'ai été là, dans l'ombre, à te regarder vivre, à te regarder t'amuser avec des moins-que-rien sans importance. Ils ne comptaient pas à tes yeux ; aux miens non plus. Tu ne t'attachais à aucun ; et je savais qu'un jour, tu comprendrais mes sentiments, tu verrais enfin toute la passion qui me dévore depuis trente ans... Et puis, il y a eu ce blanc-bec, cet imbécile heureux au sourire naïf ! Toujours à te tourner autour, à te faire rire, à te dévorer du regard quand tu ne faisais pas attention. Je me suis d'abord dit que ça ne faisait rien, que c'était encore une fois une histoire sans lendemain. Jusqu'à ce que je vous vois ensemble, si bien, si à l'aise, si confiants l'un en l'autre. C'était il y a trois mois.
- Tu parles de qui ? De Julien ? Il n'y a jamais rien eu entre nous...
- Justement !
Le mot claque comme un fouet. Dément jusqu'au bout, et incompréhensible.
- Tu veux dire que tu as tué une nouvelle famille parce que je n'ai pas couché avec mon coéquipier... Ça n'a aucun sens !
- Oh si, ça a du sens. Tu ne lui avais pas sauté dessus, tu n'avais rien tenté pour le séduire. Pourtant, il est plutôt beau garçon, non ? Et tu sais pourquoi ? Tu sais pourquoi tu ne l'as pas encore mis dans ton lit, même après ces trois années passées à travailler ensemble ?... Il compte ! Lui, il compte pour toi ! Je l'ai compris quand je t'ai vue le prendre dans tes bras au bureau, quand il s'est effondré en pleurs.
- Tu veux dire quand il a perdu son père ? Je le consolais comme une amie l'aurait fait, tu es tordu pour penser qu'il y ait eu autre chose derrière ce geste...
Il ne m'écoute même pas, il continue ses élucubrations :
- J'ai compris quand j'ai vu ton visage. Tu semblais si attristée par la détresse de cet idiot, toi qui ne montrais jamais aucun de tes sentiments. Il avait su détruire ta forteresse. Ce n'était plus qu'une question de temps avant qu'il ne prenne toute la place dans ton cœur. J'ai d'abord voulu le tuer... Ça aurait été d'une simplicité enfantine, un accident est vite arrivé. Et puis, je suis tombé par hasard sur cette petite, Sophie. Dans un parc, elle essayait de s'envoler par l'intermédiaire de la balançoire. Ses parents étaient à quelques mètres, et ne prêtaient aucune attention à leur enfant, ils étaient trop occupés à se bécoter comme des collégiens ! Quand je l'ai vue, j'ai cru te revoir au même âge. Elle te ressemble, tu n'as pas remarqué ? Je veux dire, physiquement. Les mêmes cheveux noirs, si soyeux. Les mêmes yeux déterminés, fixés sur un objectif...
Il se tait un instant, savourant sans doute l'image de cette petite fille encore heureuse. Je le tiens toujours en joue. Je voudrais qu'il se taise, mais je l'écoute, encore.
- Quand je l'ai vue délaissée par ses parents, incapables de savourer le joyau qu'ils possédaient, j'ai su quoi faire. Elle allait pouvoir nous rapprocher, toi et moi. Maintenant, elle n'a personne d'autre. Que nous. Nous allons l'élever, en faire notre fille. Et nous serons une vraie famille, ma chérie, n'aie pas peur de moi. Je ne t'ai jamais fait aucun mal, tu le sais...
Il se lève d'un bond, je ne l'ai pas vu venir. Je recule de deux pas, incapable de faire autre chose. C'est moi qui suis armée, c'est lui qui a le pouvoir. Je me sens faible devant sa folie destructrice. Je ne suis plus capable que de poser des questions :
- Pourquoi un Père Noël ? Tu étais déguisé en Père-Noël, pourquoi ? Pour que je déteste Noël, pour me faire souffrir encore un peu plus, ou bien c'est un autre phantasme tordu de ton esprit malade ?
A nouveau ce rire fou.
- Tu n'y es pas du tout, Lisa. C'est un malheureux concours de circonstances. Je devais jouer le Père-Noël, ce soir-là, il y a trente ans. Ton père me l'avait demandé. J'aurais dû te distribuer tes cadeaux et puis te laisser m'embrasser sur la joue.
Je tressaille à cette image, maintenant que je sais ce qu'il a en tête depuis tout ce temps.
- Seulement, je suis arrivé en retard, un accident sur la route avait créé des ralentissements. Quand je suis arrivé, tu étais déjà au lit, endormie comme un ange, je suis monté te voir. Après j'ai pris un verre avec tes parents. Quand ton père est sorti du salon, j'ai voulu retenter ma chance avec Natacha, mais il est revenu plus vite que je ne le pensais. Il m'a surpris aux genoux de ta mère, tentant d'embrasser sa main. Il est devenu fou de rage. Il m'a dit des choses... Tu ne peux pas imaginer les horreurs qu'il m'a assénées. Je ne l'ai pas supporté. J'ai pris mon pistolet de secours, celui qui ne me quitte jamais, et j'ai tiré. Il s'est effondré avant même que je ne réalise ce que j'avais fait. Natacha s'est mise à crier, je ne voulais pas qu'elle ameute tout le quartier, alors je l'ai frappée avec la crosse, et elle est tombée dans les pommes. Quand j'ai repris mes esprits, j'ai réalisé que je n'avais plus le choix, je devais finir ce qui avait été commencé, et tourné la page. J'ai été dans la cuisine, j'ai pris le premier couteau que j'ai trouvé, et... Tu connais la suite. Elle ne s'est pas réveillée, Lisa. Elle n'a pas su qu'elle mourait. Tu m'as surpris après, alors que j'allais partir pour appeler le commissariat. Je ne voulais pas que tu restes seule trop longtemps, je ne voulais pas que tu me vois, que tu vois ça...
L'image de son visage caché derrière le déguisement de Père-Noël m'assaille d'un coup.
Comment ai-je fait pour ne pas le reconnaître alors ? Je l'ai clairement vu, cette nuit-là, je m'en souviens à présent. Désemparée, en colère après mon aveuglement incompréhensible, je me mets à trembler comme une feuille. Je suis horrifiée par ma propre stupidité. Toutes ces années à vivre à côté d'un meurtrier, alors que j'ai été le seul témoin ! La rage reprend le dessus, me faire hurler :
- Espèce d'assassin manipulateur. Tu es bien bon ! Tu ne voulais que mon bonheur, n'est-ce pas ? Tu voulais m'épargner ? C'est raté ! Tu as tout raté ! Et mon bonheur ne sera complet que lorsque tu disparaîtras de ma vie ! Je vais te tuer pour ce que tu as fait...
En un éclair, il fond sur moi et me désarme. Je ne sais même pas comment, je me retrouve allongée sur le dos, lui m'étouffant de tout son poids, son souffle me souillant le cou. Je me débats comme une folle, je ne veux pas qu'il me touche.
- Chut, arrête de bouger. Ma belle, reste avec moi. Ne m'oblige pas à te faire du mal. Nous sommes faits pour être ensemble, ne le vois-tu pas ?
Je crie, je ne l'écoute pas, je ne veux plus entendre sa voix mielleuse, écœurante.
- Non, tais-toi. Jolie Lisa, je t'en prie, tais-toi.
Il enserre mon cou entre ses mains. Je ne peux plus respirer.
Des papillons noirs volètent à présent devant mes yeux. Pierre parle encore, mais je ne comprends plus ses paroles, comme si j'étais devenue sourde. J'étouffe, je vais mourir de ses mains et la boucle sera bouclée : il aura réussi à détruire tout ce que mes parents avaient construits avec amour.
Et puis soudain, mes oreilles se remettent à fonctionner. Un coup, deux coups résonnent dans l'appartement, l'odeur de la poudre. La tension se relâche sur mon cou, l'air afflue dans mes poumons. La vie revient peu à peu dans mon corps alors que celui de Pierre devient flasque. Je vois ses yeux s'éteindre juste sous mon regard et il s'affaisse sur le côté.
Une tornade rousse m'enlace avec sauvagerie. Murmures apaisants à mon oreille. Je ne comprends pas les mots, juste le ton réconfortant. Je suis en sécurité, dans des bras amis. Mes nerfs lâchent. Les larmes coulent, torrent incoercible. Depuis trente ans, je voulais tuer l'assassin de mes parents. Je l'avais là, à merci sous mon arme, je n'avais qu'à appuyer sur la détente. Et je n'ai pas pu, je n'ai rien fait, rien pu faire. J'ai failli mourir de sa main. Mais maintenant il n'est plus là, il ne me hantera plus. C'est fini...
Julien me regarde, le bleu de ses yeux brille un peu trop, les larmes ne sont pas loin.
Il a dû avoir peur, la peur de sa vie, et puis il a tiré sur un homme pour la première fois. Il a tué son patron pour me sauver. Son innocence est à jamais éteinte à cause du monstre sommeillant en Pierre Grignet. Il faudra que je répare ça. Il faudra que je sois là pour veiller sur lui comme il a veillé sur moi. Je ne comprends pas ce qu'il fait là, mais je m'en fiche. Je suis reconnaissante.
Je suis apaisée.
Pour la première fois en trente ans.
***
Plusieurs jours ont passé depuis le soir où la vérité sur le meurtre de mes parents a éclatée avec violence. Je ne suis pas retournée au bureau depuis. L'atmosphère doit y être particulière sans le commissaire Grignet, et je ne sais comment les collègues m'accueilleront.
Je ne sais pas si j'ai encore envie d'être inspectrice. La violence a réglé ma vie pendant si longtemps : je n'en ai plus envie... Je n'en ai plus besoin. Une voie plus tranquille me semble étrangement attrayante. Il faudra que je passe voir la petite Sophie. Je me sens responsable de son malheur, je lui dois réparation. Je ne sais pas encore ce que je vais faire : il est tentant d’entamer une procédure d’adoption, elle me touche tant, cette enfant malmenée par le sort. Mais je devrais d’abord l’apprivoiser, et lui demander ce qu’elle en pense. On verra bien, plus tard…
La sonnette. Julien. Mon courageux collègue. Mon fidèle ami. Mon avenir, peut-être, qui sait ?
Je lui propose un verre pendant qu'il s'installe au comptoir.
Il a changé, il est un peu moins souriant, un peu moins enthousiaste. Il aura du mal à s'en remettre. Il faudra du temps, c'est certain, pour reconstruire son personnage de boute-en-train innocent.
Nous n'avons pas encore reparlé de la soirée du 25. Mais une question me titille, me refusant parfois le sommeil.
- Dis, Julien, je me demandais, qu'est-ce que tu venais faire chez moi,... L'autre soir ?
Il me regarde un instant, semblant chercher ses mots, puis se lance.
- Hé bien, Grignet m'avait ordonné de plancher sur l'ancienne affaire, sans doute pour que je ne découvre rien de neuf, pour couvrir ses arrières. Seulement, il n'a pas prévu qu'un regard neuf pouvait faire la différence. J'ai relu plusieurs fois les divers rapports. Et plusieurs éléments me semblaient bizarres. Les enquêteurs ont d'abord cru à un cambriolage qui aurait mal tourné pour se tourner ensuite vers la piste d'une vengeance. Robert Rastini était un bon flic, et avait collé au trou bon nombre de truands. Seulement il n'y avait eu aucune effraction. Conclusion logique : tes parents connaissaient leur agresseur.
Je regarde Julien avec un étonnement mêlé d'horreur.
- Je n'avais jamais pensé à ça ! Et pourtant je connais le dossier par cœur !
- C'est normal, tu étais trop impliquée. Ce sur quoi tu te focalisais, c'était les photos de tes parents morts ! Tu n'avais pas assez de recul pour voir plus loin... Ne le prends pas mal, surtout. Je te le répète, c'est normal et bien naturel. On n'est pas les meilleurs quand on est trop sensibles, quand on ressent des émotions trop fortes ; c'est toi-même qui me l’as appris. Enfin, c'est le premier point qui m'a troublé. Ensuite, je me suis aperçu d'une incohérence dans un témoignage. Grignet est arrivé le premier sur les lieux. Il a dit qu'il avait capté l'appel à toutes les voitures sur sa radio perso, alors qu'il sortait de chez lui. Or, il est arrivé seulement dix minutes après cet appel, cinq minutes avant les autres flics. J'ai regardé l'itinéraire entre la maison de tes parents et l'appartement de l'époque de Grignet. Il habitait facile à une demi-heure de chez toi ! Impossible d'arriver en si peu de temps ! J'avais de sérieuses questions à lui poser – je ne le soupçonnais pas vraiment : il avait menti et je voulais savoir pourquoi, le plus vite possible. Je savais qu'il devait te retrouver ici, alors j'ai tenté ma chance, en espérant que vous ne soyez pas déjà partis à votre réception... Quand je l'ai vu sur toi... En train de t'étrangler, avec ce masque de fureur mêlée de perversité, j'ai... J'ai compris pourquoi il avait menti, et je n'ai pas hésité. Voilà, tu sais tout maintenant.
Je viens m'asseoir à côté de lui sans le lâcher des yeux. Je soupire. Tant de choses sont arrivées en si peu de temps. En deux jours, un Noël, un crime vieux de trente a été résolu, une vie s'est éteinte pour laisser s'épanouir celle qui étouffait depuis trop longtemps sous une rage et une peur inhumaines. Et une porte s'est ouverte vers un autre avenir, plus serein, moins solitaire, à n'en pas douter. Pierre avait raison sur un point. Julien compte, assurément. Il va compter dans ma vie.
Je lui frôle la main, nos regards se croisent.
Je regarde Julien avec un étonnement mêlé d'horreur.
- Je n'avais jamais pensé à ça ! Et pourtant je connais le dossier par cœur !
- C'est normal, tu étais trop impliquée. Ce sur quoi tu te focalisais, c'était les photos de tes parents morts ! Tu n'avais pas assez de recul pour voir plus loin... Ne le prends pas mal, surtout. Je te le répète, c'est normal et bien naturel. On n'est pas les meilleurs quand on est trop sensibles, quand on ressent des émotions trop fortes ; c'est toi-même qui me l’as appris. Enfin, c'est le premier point qui m'a troublé. Ensuite, je me suis aperçu d'une incohérence dans un témoignage. Grignet est arrivé le premier sur les lieux. Il a dit qu'il avait capté l'appel à toutes les voitures sur sa radio perso, alors qu'il sortait de chez lui. Or, il est arrivé seulement dix minutes après cet appel, cinq minutes avant les autres flics. J'ai regardé l'itinéraire entre la maison de tes parents et l'appartement de l'époque de Grignet. Il habitait facile à une demi-heure de chez toi ! Impossible d'arriver en si peu de temps ! J'avais de sérieuses questions à lui poser – je ne le soupçonnais pas vraiment : il avait menti et je voulais savoir pourquoi, le plus vite possible. Je savais qu'il devait te retrouver ici, alors j'ai tenté ma chance, en espérant que vous ne soyez pas déjà partis à votre réception... Quand je l'ai vu sur toi... En train de t'étrangler, avec ce masque de fureur mêlée de perversité, j'ai... J'ai compris pourquoi il avait menti, et je n'ai pas hésité. Voilà, tu sais tout maintenant.
Je viens m'asseoir à côté de lui sans le lâcher des yeux. Je soupire. Tant de choses sont arrivées en si peu de temps. En deux jours, un Noël, un crime vieux de trente a été résolu, une vie s'est éteinte pour laisser s'épanouir celle qui étouffait depuis trop longtemps sous une rage et une peur inhumaines. Et une porte s'est ouverte vers un autre avenir, plus serein, moins solitaire, à n'en pas douter. Pierre avait raison sur un point. Julien compte, assurément. Il va compter dans ma vie.
Je lui frôle la main, nos regards se croisent.
Casting
Boadicée dans le rôle de Lisa Rastini
Roxy bistourisée et masculinisée dans le rôle de Pierre Grignet
Ariel bistourisé dans le rôle de Julien Murol
Edmond de LindsayDole dans le rôle du père de Lisa
Shannon de LindsayDole dans le rôle de la mère de Sophie
Jolan d’Aria dans le rôle du père de Sophie
Erôn le faune dans le rôle d’Alex le barman